Communiquer sans violence, un acte politique ?
Communiquer sans violence devient un acte politique quand cela permet de revendiquer haut et fort notre liberté et notre désir de respecter l’autre dans sa singularité. Notre quotidien est hélas trop souvent accompagné de jugements et de langages désinvoltes.
Le jugement, un sport national
Il suffit d’allumer la télévision pour se rendre compte qu’on s’amuse facilement en jugeant l’autre. Nombre d’émissions de téléréalité le prouvent : on aime regarder l’autre, sa bizarrerie, ses talents ou, disons-le carrément, son côté plouk et pathétique. Les émissions de téléréalité ou même les talkshows sont rarement fondées sur une éthique de la relation puisque de base, il s’agit d’être exposé aux regards et donc aux jugements des autres. Un mode de pensée basé sur le jugement nous enferme dans un monde polarisé entre le bien et le mal, le plus et le moins, le beau et le laid, etc…
Le jugement, un poison pour l’expression de notre singularité
Quittons l’univers de la télévision pour nous déplacer dans une cour de récréation ou dans une salle de classe. Comment se fait-il qu’arriver en CP certains enfants arrêtent de dessiner spontanément, « je ne sais pas faire, il est moche mon dessin » ? On sait pourtant que le dessin est un formidable vecteur d’expression, de créativité et de décharge émotionnelle pour l’enfant. Mais le jugement des autres, le dictat de l’adulte même peut-être et la comparaison font des ravages : l’enfant perd de sa spontanéité et de ce fait, il perd aussi le contact avec sa créativité. Un mode de pensée basé sur le jugement atrophie et dégrade toutes velléités d’expression personnelle.
Le jugement nous coupe de nos aspirations profondes. N’ayant plus la place pour exprimer notre singularité, on passe notre temps à juger, à mettre les choses et les gens dans des cases. Les jugements moralisateurs entretiennent ainsi le « moule » dans lequel on doit rentrer coute que coute pour correspondre à ce qui est attendu de nous.
Une communication basée sur le jugement produit un monde sans réelle liberté.
Parler et s’en laver les mains
Autre aspect important qui accompagne souvent un mode de pensée et de communication basé sur le jugement, c’est le « on m’a dit de… », le « il faut », le « je dois » à la place d’actes assumés en pleine conscience et en pleine responsabilité.
Avant le génocide rwandais de 1994, les radios et les médias s’acharnèrent à « déshumaniser » leur langage pour que le pire soit possible. Les pires atrocités se font jour dès lors que le langage est débarrassé de ses fonctions émotives et phatiques qui permettent aux hommes d’entrer en relation avec les autres hommes.
Pour prendre un autre exemple, dans la littérature cette fois, le roman de George Orwell, 1984, met en scène un monde où la langue est réduite à son unique fonction informative. On détruit les mots et la langue est appauvrie dans le but d’hébéter le peuple pour mieux le contrôler.
Fort heureusement, nous n’en sommes pas là. On peut, cependant, constater que notre façon de communiquer avec l’autre peut nous empêcher d’assumer clairement nos responsabilités personnelles. « Il faut que… », « tu me… » sont bien utiles parfois pour échapper à nos propres sentiments et nos propres pensées.
Une communication qui fait l’économie d’être attentive aux autres, aux pensées et aux sentiments dresse immanquablement des murs entre les hommes.
Et le rôle de l’école dans tout ça
L’école n’est hélas pas en reste. Nombreux sont ceux qui se font entendre aujourd’hui : l’éducation de nos enfants ne peut plus uniquement se faire sur la base du « bien penser ». Si pendant longtemps on a juré par le QI (quotient intellectuel) comme étant une sacro-sainte référence et preuve de réussite de l’école, on doit penser aujourd’hui en plusieurs dimensions. Intégrer une réflexion sur le QE (quotient émotionnel) est urgent.
L’école doit éduquer à la communication qui permet non seulement de « penser » mais aussi de « savoir ce qu’on ressent ».
3 attitudes pour une communication sans violence
Pour permettre à la communication de ne pas tomber dans les travers du jugement et de l’irresponsabilité, 3 attitudes sont possibles :
– observer sans évaluer
Chaque jour peut être l’occasion de s’entraîner à observer les autres et ce qui se passe sans pour autant porter un jugement.
La méditation est un bon support pour cela : prendre 10 minutes par jour pour s’asseoir, fermer les yeux et simplement observer les idées, pensées ou sensations qui nous traversent peut vraiment rendre les choses concrètes.
Certaines personnes sont naturellement épargnées par ce réflexe de ruminations mentales. D’autres moins. Nous ne sommes pas tous égaux !
S’exercer à ne pas juger, à ne pas interpréter non plus, à ne pas se jeter à corps perdu dans une analyse fumeuse du pourquoi du comment. Simplement éviter la critique.
– ne pas prêter des pensées à quelqu’un mais observer les actes
Eviter de généraliser pour se focaliser sur l’observation de ce qui se passe permet souvent de mieux voir.
Généraliser c’est en quelque sorte gommer les différences, empêcher que d’autres formes de message ne puissent nous atteindre : « c’est comme ça et pas autrement » !
– éviter la confusion entre « sentir » et « penser »
On se mélange souvent les pinceaux entre « je sens que… » et « je pense que… »
Dans le « je me sens nulle », il y a un jugement qui fait écran aux sentiments qui sont en jeu (tristesse, déception, peur… ?). Peut-être qu’en s’efforçant de remplacer le verbe « sentir » on arrivera à mieux exprimer les sentiments qui nous habitent et donc à mieux communiquer.